Rare exemplaire répertorié pour le haut Moyen Âge en France, cette pirogue présente un grand intérêt historique et scientifique. Peu d’embarcations ont été trouvées dans les lacs alpins dans un si bel état de conservation. Extraite en 2017 à la pointe de l’Ardre (Brison-Saint-Innocent), elle sera présentée dans le futur parcours de visite du Musée Savoisien.
Pour que cette pirogue rejoigne les collections et soit présentée au public dans le futur parcours de visite, le Musée Savoisien s’est rapproché du Service Régional de l’archéologie (SRA) et du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) du ministère de la Culture.
Ces trois services ont réuni leurs forces et réussi à extraire cette pirogue le 28 juin 2017, après 10 jours de préparation.
Une véritable aventure !
La pirogue carolingienne de la Pointe de l'Ardre sur la commune de Brison-Saint-Innocent a été découverte au fond du lac du Bourget en 1989 par deux plongeurs sportifs. Elle est localisée à 130 m de la rive et à -32 m de fond sur une pente, dans des eaux où la visibilité est très mauvaise, (de l’ordre du mètre), due à l’absence de lumière et aux sédiments omniprésents.
En 2002, des archéologues ont lancé une campagne de sondages et de relevés afin de déterminer si cette embarcation avait un intérêt historique et scientifique. Elle a été étudiée par Yves Billaud, ingénieur de recherche au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM).
Par la suite, il fera part de l’existence de cette pirogue immergée : le Musée Savoisien voit alors l’opportunité de combler une période lacunaire de ses collections.
En juin 2016, une nouvelle plongée de reconnaissance atteste que la pirogue ne paraît pas avoir subi de dégradations depuis l'opération de 2002. Il devient dès lors possible d’envisager son extraction des eaux.
Les collections médiévales du musée sont constituées d’ensembles remarquables, mais peu nombreux. Parmi ces objets médiévaux conservés par le Musée Savoisien, très peu sont relatifs au haut Moyen Âge. La présence d’une pirogue carolingienne dans le lac du Bourget montre que celui-ci était toujours fréquenté. Le très petit nombre de vestiges de cette période en Savoie renforce le caractère exceptionnel de cette découverte. Par ailleurs, il n’existe, en France, qu’une pirogue monoxyle carolingienne présentée dans un musée, à Nemours.
L’usage précis de cette embarcation n’est pas déterminé actuellement : elle a visiblement été abandonnée sur place après avoir été délestée de son chargement et de son équipement. Était-elle un moyen de transport ? Une embarcation de pêche ? Les éléments actuels ne permettent pas encore de trancher.
Cette pirogue sera exposée dans le parcours de visite du musée rénové. Son intérêt scientifique et historique, sa grande taille, ce qu’elle raconte de la vie sur le lac motivent également ce choix muséographique. Un film présentant les conditions de sa sortie et les résultats de son étude accompagnera cette présentation.
Après de nombreuses démarches administratives avec les services archéologiques de l’État, l’autorisation de prélèvement de la pirogue a été donnée.
C’est sous la direction d’Yves Billaud, ingénieur de recherche responsable de la cellule "eaux intérieures" au DRASSM que cette opération archéologique délicate a été conduite.
Pas moins de 10 jours de travail ont été nécessaires aux plongeurs pour extraire ce vestige carolingien : environ une semaine consacrée à la préparation du relevage (implantation des balises, dégagement des vestiges, remontée sur un replat) et une semaine pour la sortie de l’eau elle-même (mise en place du châssis, protection de la pirogue, remontée, remorquage). Les conditions de plongée, à cette profondeur, imposent des durées et un nombre de plongées journalières limités.
Des conditions météorologiques très calmes étaient impératives pour éviter que les clapots n’endommagent la pirogue à sa sortie de l’eau et surtout lors de sa traction jusqu’à
Un châssis métallique livré en kit a été remonté autour de la pirogue à -32m de profondeur, pour permettre son prélèvement en minimisant les risques de dégradation.
Afin d’éviter que la pirogue ne glisse vers le fond du lac, ce qui aurait causé sa perte définitive, il était impératif de la sécuriser. Tout d’abord, la pirogue a été stabilisée par le fond. Ensuite, la structure métallique a été assemblée manuellement autour de la pirogue, avant la montée en surface de l’ensemble.
Une fois sortie de l’eau, la pirogue a été transportée, dans son châssis, jusqu’à son lieu de restauration, ARC-Nucléart à Grenoble, en la protégeant pour éviter qu’elle ne sèche durant le trajet. Son transport a été assuré par les services du Département.
Si la pirogue semblait bien conservée au fond du lac, il s’agissait de maintenir, voire de consolider son état après extraction. En effet, cette embarcation gorgée d’eau et de micro-organismes au fil des siècles, présentait un risque majeur de dégradations une fois sortie de l’eau. Le bois archéologique gorgé d’eau perd en effet ses propriétés habituelles : son état est proche d’une éponge gorgée d’eau dont le séchage induirait une déformation irréversible.
Le séchage à l’air libre n’était donc pas envisageable. Il était nécessaire de faire appel à des spécialistes pour envisager les meilleures conditions possibles de conservation de l’embarcation.
Le laboratoire ARC-Nucléart du CEA à Grenoble, spécialiste en conservation – restauration des matériaux organiques poreux a la charge de la pirogue depuis sa sortie de l’eau jusqu’à sa restauration totale. En effet, il est le seul en Europe équipé d’un lyophilisateur adapté aux dimensions de ce vestige et capable de mener cette intervention dans le temps nécessaire à sa présentation au public.
Le traitement consiste à remplacer l’eau contenue dans le bois par de la résine liquide, qui est ensuite durcie par rayonnement gamma. La restauration vise ensuite à consolider les parties fragilisées et à harmoniser son aspect de surface. ARC-Nucléart fournira également un socle de présentation permettant d’assurer sa stabilité. La pirogue pourra alors revenir à Chambéry pour être installée dans le musée en cours de rénovation.