Le Dauphiné Libéré, 16 septembre 1972
En 1972, Justin Maitre, 85 ans, raconte son quotidien de ramoneur à la fin du 19e siècle, lorsqu’il avait 10 ans. A la suite de l’incendie de son village, il a quitté la Savoie. C’est un souvenir pénible qu’il relate.
« Nous sommes partis au mois de mars 1897 en direction du département de la Marne. Après un voyage à pied de 18 jours, nous sommes arrivés à Reims. Puis sans interruption, tous les jours, dimanches et jours de fêtes, nous avons travaillé. Le “patron” nous avait réparti le travail, maison par maison. Comme nous n’avions ni hérisson, ni corde, munis d’une “raclette” métallique nous descendions dans les cheminées et lentement, avec beaucoup de précautions, nous accomplissions notre travail. Il fallait être très petit et souple mais aussi très résistant et courageux.
Après notre travail, la maitresse de maison nous offrait quelquefois les restes du repas familial dans un coin de la cuisine, ce qui constituait souvent notre seul repas quotidien, car le patron ne se souciait nullement de notre subsistance, sa principale activité se limitait à la tournée des “bistrots” de la ville.
On marquait, une fois le travail terminé dans une maison, une ou plusieurs croix à la craie sur la porte, selon les nombres de cheminées ramonées ; le “patron” faisait alors la tournée d’encaissement.
C’est lui-même qui envoyait l’argent à nos parents, soit pour moi 100 francs par an. Notre argent de poche se limitait aux seuls et très rares “pourboires” de nos clients.
Une fois fini notre travail dans une ville, un conseiller municipal, le garde-champêtre et notre “patron” effectuaient une visite d’inspection afin de contrôler notre labeur. Gare à nous s’il n’était pas effectué correctement !
Pendant cinq ans, en ne revenant qu’une seule fois à la maison, nous avons parcouru plusieurs départements : Aisne, Marne, Somme, en s’arrêtant dans de petits villages mais aussi dans de grandes villes : Reims, Amiens, etc. ».