Sainte-Chapelle : les prouesses techniques d’un chantier monument historique

A l’intérieur, de l’eau qui s’infiltre dans le chœur et endommage les décors peints. A l’extérieur, des eaux de pluie qui ne s’écoulent plus et favorisent le noircissement de la pierre, sa dégradation et le développement de végétaux ... C’est pour résoudre ces problèmes qu’un chantier de grande ampleur se tient depuis le printemps 2021 à la Sainte-Chapelle du Château des ducs de Savoie à Chambéry. Retour sur des travaux pilotés par l’agence d’architecture D'AR JHIL de Pont-De-Beauvoisin et menés par des entreprises spécialisées qui s’adaptent en permanence aux imprévus inhérents aux chantiers menés sur des bâtiments anciens.

Sauvée des eaux !

 Très visible depuis la place du château, un impressionnant échafaudage s’est élevé pendant plusieurs mois le long du chevet de la Sainte-Chapelle. Véritable prouesse technique posée en porte-à-faux, au-dessus du vide, il a permis aux entreprises d’atteindre le sommet de l’édifice et de reprendre les joints défectueux et le système d’évacuation des eaux de pluie devenu inefficace.

Échafaudage sur le chevet de la Sainte-Chapelle
Échafaudage sur le chevet de la Sainte-Chapelle
Pour attendre la coursive supérieure l’échafaudage a dû être adapté aux piliers du chevet, aux angles tous différents…
Pour attendre la coursive supérieure l’échafaudage a dû être adapté aux piliers du chevet, aux angles tous différents…
Saint Jean l’Évangéliste, décor peint du chœur endommagé par les infiltrations d’eau. Vestige du grand décor en trompe-l’œil peint par le peintre fresquiste piémontais Casimir Vicario en 1837.
Saint Jean l’Évangéliste, décor peint du chœur endommagé par les infiltrations d’eau.  Vestige du grand décor en trompe-l’œil peint par le peintre fresquiste piémontais Casimir Vicario en 1837.
Les infiltrations d’eau entrainent le développement de mousses, lichens et autres végétaux qui dégradent l’édifice.
Les infiltrations d’eau entrainent le développement de mousses, lichens et autres végétaux qui dégradent l’édifice.
Pierre de la coursive très endommagée par la stagnation de l’eau. ©Agence D'AR JHIL
Pierre de la coursive très endommagée par la stagnation de l’eau

Du plomb pour les eaux de pluie

Au niveau de la coursive supérieure, juste sous la toiture, la pierre très abimée par la stagnation de l’eau, a été grattée en surface puis recouverte d’une corniche en plomb. Ce travail à la main, très long, permet, après l’application de plusieurs couches de plâtre et d’une couche de plomb, d’épouser les formes du monument. Il faut dire que le plomb est très ductile et sa grande longévité garantit l’étanchéité du bâtiment pendant 100 à 150 ans ! De quoi voir venir.

Coursive supérieure. Mise en place de corniches en plomb pour permettre la bonne évacuation des eaux de pluie. ©Agence D'AR JHIL
Coursive supérieure. Mise en place de corniches en plomb pour permettre la bonne évacuation des eaux de pluie. ©Agence D'AR JHIL
Corniche en plomb en cours de réalisation. ©Agence D'AR JHIL
Corniche en plomb en cours de réalisation. ©Agence D'AR JHIL

Le talent des tailleurs de pierre et les gargouilles reprennent vie

Mais la protection de la chapelle contre les ravages de l’eau ne serait pas complète sans la réfection de ses gargouilles.  Chiens, aigles, dragons, griffons… ces animaux de pierre juchés au sommet de la chapelle depuis sa construction au début du 15e siècle, ont pour fonction de recracher par leurs gueules, loin des murs, les eaux de pluie. Sur 15 gargouilles ; 5 ont été condamnées, 6 ont été conservées après restauration de leur système d’évacuation en plomb et 4 qui avaient perdu leurs têtes, ont fait l’objet du travail exceptionnel de sculpteurs de pierre.

Mais comment recréer une gargouille quand il n’en reste que le corps et qu’aucun document ne la représente ? Et bien, en essayant d’imaginer l’animal à qui appartenait ces ailes, ces pattes et en s’inspirant du style des gargouilles toujours en place. Débute alors un dialogue essentiel entre les architectes et les sculpteurs de pierre pour passer des premiers dessins, à l’ébauche en argile, au travail très précis de la pierre. Il s’agit ensuite de terminer le travail sur place, au sommet de la chapelle, à 40 mètres de hauteur, pour adapter parfaitement la tête de la gargouille au corps resté en place et la fixer à l’aide de tiges en fibre de verre.

« 15 personnes participent à la création d’une gargouille », Gennaro d’Ambrosio architecte de l’agence d’AR JHIL en charge du suivi des travaux."

Chacune des trois nouvelles gargouilles ont été façonnées par un tailleur de pierre différent sous la direction d'un même sculpteur. Deux hommes et une femme pour un véritable travail d'artiste ! Tout en respectant le style du 15e siècle chacun a laissé sa patte et retranscrit sa sensibilité du moment. "Si la gargouille à tête de chien a désormais une expression joviale, c'est que son sculpteur est devenu papa pendant le chantier " explique Nathalie Lemaire, chargée du suivi des travaux pour le Département. 

Gargouilles restées en place depuis le 15e siècle. Celle en arrière plan, à tête de lion est plus récente comme en témoigne son style.
Gargouilles restées en place depuis le 15e siècle. Celle en arrière-plan, à tête de lion est plus récente comme en témoigne son style.
Évacuation en plomb d'une tête de gargouille.
Évacuation en plomb d'une tête de gargouille.
Ébauche en argile de la gargouille à tête de chien. L’ébauche est soutenue par une structure en bois.
Ébauche en argile de la gargouille à tête de chien. L’ébauche est soutenue par une structure en bois.
Dialogue entre l’architecte et le sculpteur de pierre.
Dialogue entre l’architecte et le sculpteur de pierre.
Gargouille a tête de chien. Le sculpteur termine son travail sur place. Une patine est appliquée afin de la protéger de la pollution et des aléas climatiques. La pierre neuve prendra progressivement la teinte du corps.
Gargouille a tête de chien. Le sculpteur termine son travail sur place. Une patine est appliquée afin de la protéger de la pollution et des aléas climatiques. La pierre neuve prendra progressivement la teinte du corps.
Ebauches en argile des deux autres têtes de gargouille.
Ebauches en argile des deux autres têtes de gargouille.
Le sculpteur adapte les mesures prises sur l’ébauche d’argile à la nature de la pierre et aux difficultés rencontrées. La pierre utilisée provient de Hauteville-Lompnes dans l’Ain. La pierre des gargouilles originelles, plus hétérogène, vient de Villebois également dans l’Ain
Le sculpteur adapte les mesures prises sur l’ébauche d’argile à la nature de la pierre et aux difficultés rencontrées. La pierre utilisée provient de Hauteville-Lompnes dans l’Ain. La pierre des gargouilles originelles, plus hétérogène, vient de Villebois également dans l’Ain
M. d’Ambrosio, architecte en charge du suivi du chantier, réceptionne la gargouille à tête de griffon après sa remise en place
M. d’Ambrosio, architecte en charge du suivi du chantier, réceptionne la gargouille à tête de griffon après sa remise en place
Gargouille de la façade sud-est. Il a été décidé de ne pas sculpter cette gargouille, Invisible du public et documentée par aucune photo témoignant de son état antérieur. ©Agence D'AR JHIL
Gargouille de la façade sud-est. Il a été décidé de ne pas sculpter cette gargouille, Invisible du public et documentée par aucune photo témoignant de son état antérieur. ©Agence D'AR JHIL

Emballée pour sa remise en beauté

Grand tapis d’autel, maître-autel, confessionnal, bancs, orgue, tout le mobilier de la chapelle a été soigneusement protégé de la poussière par plusieurs couches de bâche spéciale. C’est le préalable indispensable pour que les travaux d’enlèvement des enduits et décors abimés puissent se tenir. Avant leur restauration et les retrouvailles de la chapelle avec son public.

Le décor peint du chœur et les sous-couches d’enduit et de mortier, endommagés par les infiltrations d’eau.
Le décor peint du chœur et les sous-couches d’enduit et de mortier, endommagés par les infiltrations d’eau.
Les enduits endommagés sous les voûtes de la nef.
Les enduits endommagés sous les voûtes de la nef.
Des échafaudages ont été montés dans la chapelle pour protéger les vitraux et atteindre les décors. L’autel du 17e siècle, classé Monument historique a été intégralement recouvert d’une protection.
Des échafaudages ont été montés dans la chapelle pour protéger les vitraux et atteindre les décors. L’autel du 17e siècle, classé Monument historique a été intégralement recouvert d’une protection.

L’orgue : un joyau sous très haute protection

Mention spéciale pour l’orgue dont la protection a représenté un vrai défi. L’indisponibilité des facteurs d’orgue en France, très pris sur d’autres chantiers monuments historiques a poussé la maitrise d’œuvre à trouver une solution avec une entreprise non spécialisée. L’entreprise CIREME en relation étroite avec la maitrise d’œuvre, la Conservation régionale des Monuments historiques et l’organiste titulaire de l’orgue, a réussi à mettre l’instrument à l’abri.

Plutôt que de le démonter et de le stocker ailleurs, il a été préféré à cette opération périlleuse, une protection in situ au moyen d’une structure échafaudée habillée de deux couches de bâche thermoformée en plastique étanche. Pour empêcher le développement de moisissures une ventilation a été mise en place. Mais ce n’est pas tout !  L’instrument est maintenu en surpression pour que les poussières susceptibles de rentrer dans les tuyaux soient maintenues à l’extérieur.  Un système de surveillance 24h sur 24 relié à une alarme prévient instantanément les équipes si le filtre est plein ou le degré d’hygrométrie n’est pas respecté.

Sainte-chapelle-travaux-int-2022©dpt73L’orgue fait actuellement l’objet d’une protection très spécifique. La présence de poussière dans les tuyaux de l’instrument nécessiterait une restauration très complexe. Les lustres ont été laissés en place car il aurait été trop délicat de les déposer et de les mettre à l’abri hors de la chapelle. Une entreprise spécialisée viendra en fin de chantier pour les nettoyer.

Avant la réouverture : un chantier à suivre

Une fois la Sainte-Chapelle intégralement protégée, l’entreprise Jacquet pourra reprendre les enduits et les décors endommagés. Une ventilation facilitera leur séchage. Mais là encore il faut savoir s’adapter, l’opération pouvant prendre plus ou moins de temps en fonction de la météo !

En paralèle, se tiennent les travaux de mise en accessibilité, débutés avec la reprise du grand escalier. Le perron agrandi et une rampe permettront aux personnes à mobilité réduite de rejoindre l’entrée en toute sécurité. Et à l'automne, si tout se passe commre prévu, la chapelle ouvrira de nouveau ses portes aux offices, aux visites guidées et aux nombreux concerts qui s’y déroulent. Pour le plus grand plaisir du public !

Les entreprises en charge du chantier

Maîtrise d’ouvrage : Département de la Savoie

Maitrise d’œuvre : Agence d’Ar Jhil, Joëlle Leoni, Gennaro D’Ambrosio

Sécurité et protection de la santé : ELYFEC

Contrôleur technique : QUALICONSULT

Montage et démontage des échafaudages : SAS Cireme échafaudage

Restauration des maçonneries, des enduits et des décors : Jacquet SARL

Réalisation des corniches en plomb et zinguerie : Eurotoiture

Etude et restauration des décors peints : Mériguet restauration

Protection de l’orgue : SAS CIREME échafaudage en relation étroite avec M. Régis Vermorel, Ingénieur du patrimoine, chargé des orgues Monuments historiques de la région Auvergne-Rhône-Alpes, la Conservation régionale des Monuments historiques et M. Dominique Chalmin, organiste titulaire de l’orgue de la Sainte-Chapelle.

Protection du grand tapis d’autel : Bobin tradition

Révision et nettoyage des lustres :  Etablissement de Chant Viron

Electricité : ELTIS

Ferronnerie : SAS Delacroix

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